Recherches en cours

La pêche professionnelle à Trouville-sur-Mer : extraits d'enquête

De juin à décembre 2023, Léa Paysant a mené une enquête de terrain sur la pêche professionnelle et contemporaine dans le port de Trouville-sur-Mer dans le Calvados. Ce travail de terrain consistait à rencontrer les acteurs de la pêche trouvillaise et à partager leur quotidien en appliquant la méthode de l’observation participante.

Retour de coquilles

Cette année, les marins trouvillais attendaient l’ouverture de la pêche à la coquille Saint-Jacques avec impatience. Parfois surnommée « l’or blanc », la coquille s’apparente de plus en plus au salut du marin pêcheur, et ce, d’autant plus après une saison au poisson peu opulente : « cette année ça a été une année catastrophique en soles ».En cette fin d’après-midi de novembre, lorsque la mer est haute et qu’elle autorise les chalutiers à rentrer au port, le quai de Trouville-sur-Mer est pris d’une certaine effervescence. Le grand rideau de fer du mareyeur s’ouvre, les camions frigorifiques se mettent en route, les quelques promeneurs ralentissent : le moment de la débarque est venu.

Le saviez-vous ? Aujourd’hui, bien que le port de Trouville-sur-Mer soit reconnu pour la pêche au maquereau, c’est surtout la pêche à la coquille Saint-Jacques qui est la plus importante pour l’activité halieutique du port. Elle représente environ 70% du chiffre d’affaires du secteur et bénéficie du label « Label Rouge ». Les marins pêcheurs ont largement contribué à l’abondance de la coquille Saint-Jacques en Baie de Seine : par le biais du Comité Régional des Pêches Maritimes et des Élevages Marins de Normandie, ils ont progressivement et communément décidé de mettre en place des réglementations pour une exploitation raisonnable de la ressource.

//Filer, traîner, virer, trier//

« Le bateau fait route vers sa zone de pêche, les matelots s’affairent sur le pont. Je rejoins le patron dans la passerelle, il m’explique sa stratégie de pêche. Je retiens que cette nuit, ils traîneront le chalut à sole dans les ridains puis, au lever du jour, ils feront route vers le nord pour filer au maquereau. (…) La mer est presque d’huile, le soleil est au rendez-vous, le temps est radieux. » (Journal : 39)

Une fois que le navire est arrivé sur la zone de pêche, l’équipage ne perd pas de temps, les matelots enfilent leurs gants et descendent sur le pont : il est l’heure de mettre le chalut à l’eau.

« Au moment de filer le chalut, le bateau ralenti beaucoup, à tel point que j’ai l’impression qu’il n’avance plus. Les matelots mettent le chalut à l’eau en s’assurant qu’il se déroule dans le bon sens » (ibid.)

Lorsque le chalut est en place à l’arrière du navire, il est traîné lentement et prend sa forme d’entonnoir dans l’eau.
La durée du trait dépend du type de pêche pratiqué : le chalut peut être traîné 1h ou bien jusqu’à 3h.

La durée du chalutage participe, avec l’horaire de la marée, au rythme du sommeil du marin qui n’est plus guidé par son horloge biologique. Par exemple, la sole se pêche la nuit au chalut de fond et le trait dure environ une heure. Entre le moment où il file le chalut et le moment où il finit de trier le poisson, le marin pêcheur n’a plus que quelques minutes pour se reposer.

« Puis vient le moment de virer le chalut. » (ibid.)

Dès le signal du patron, les matelots délaissent ce qu’ils sont en train de faire immédiatement.
Ils accompagnent le halage du chalut et guident le patron qui est aux commandes. Ils communiquent par onomatopées et par gestes simples et efficaces : une main levée signifie qu’il faut stopper la manœuvre, un pouce en l’air indique qu’elle peut reprendre.

L’étape du halage du chalut jusqu’à son ouverture est toujours un peu excitante en raison du suspens lié au contenu du chalut. Sera-t-il plein ou peu rempli ? L’équipage aura-t-il fait « tourik ? » Autrement dit, n’y aura-t-il que les espèces ciblées présentes en quantité ? Ou n’y aura-t-il que des algues et autres espèces qui ne se consomment pas ou sont peu valorisées ?

« Puis, le cul du chalut, plein et rond, arrive sur le pont, ils l’ouvrent : poissons et coquillages tombent sur le pont. (…) Soles, pétoncles, carrelets, palourdes, bulots, sèches… sont triés dans des bacs différents, le reste (étoiles de mer, coquilles Saint-Jacques, poissons trop petits…) sont rejetés à l’eau parfois vivants, souvent déjà morts. » (ibid.)


Les matelots opèrent une première sélection parmi les espèces pêchées entre celles qu’ils gardent et qu’ils mettent dans un « potte » et celles qu’ils rejettent à la mer par les dalots.
Ce tri terminé, ils trient à nouveau chaque « potte » et répartissent son contenu dans des bacs en fonction des espèces et de leur taille.

« À partir de là, mes souvenirs sont flous et je ne suis pas sûre de leur chronologie. En vérité, la pêche en mer est une activité répétitive bien que chaque trait soit toujours différent par son résultat. Les marins pêcheurs filent le chalut, ils attendent 1h, ils virent le chalut, ils trient le poisson, ils le rangent dans les bacs, parfois ils le préparent pour la vente, ils le rangent sous une bâche humide puis de nouveau ils filent le chalut, et ainsi de suite. » (Journal : 40)

//Ramender//

Une grande partie de l’entretien du matériel se fait à bord lorsque le bateau est amarré dans le port. Mais parfois, l’avarie du chalut est trop importante et nécessite de le débarquer pour pouvoir l’étendre sur le quai afin qu’il puisse être manipulé plus facilement.

L’entretien du chalut est une succession de tâches variées qui dépendent des navires : chaque patron a ses propres réglages, ses propres assemblages, ses propres plans de chalut. Les chaluts sont assemblés et réglés après avoir été pensés sur plan et ces plans de chalut sont gardés par les marins pêcheurs dans le plus grand secret. Ils ne sont pas accessibles à n’importe qui, parfois pas même aux matelots. Les réglages du chalut apparaissent comme les clés d’une bonne pêche, un chalut bien réglé pêche mieux. Au fur et à mesure de l’activité de pêche, les réglages peuvent être modifiés pour l’optimiser.

Ce jour-là, une chaude fin de matinée de juillet, je retrouve Teddy sur le quai. Il est assis en plein milieu d’une grande étendue de filet bleu turquoise. Il répare là où les mailles ont été déchirées par les aspérités des fonds marins :